M. Marc Le Fur. Je souhaite prendre la parole sur la question des origines, une question qui me paraît fondatrice et sur laquelle la commission a repoussé le projet du Gouvernement. Lors du vote en commission, je me suis singularisé, ayant considéré que la recherche des origines était légitime.
Si l’on en croit les chiffres figurant dans le rapport de l’Agence de la biomédecine pour 2008, on compte chaque année environ 20 000 assistances médicales à la procréation. Pour la plupart de ces 20 000 AMP, qui ont lieu au sein d’un couple, la question des origines ne se pose pas. Elle se pose, en revanche, dans le cas d’un don de gamète – un peu plus de 1 000 cas par an – et dans le cas d’un don d’ovule – environ 200 cas par an.
L’assistance médicale à la procréation, qui existe depuis plusieurs dizaines d’années, est montée en puissance lors des années soixante-dix et quatre-vingt. On compte désormais de nombreuses personnes qui sont le fruit d’une AMP, dont une bonne proportion d’adolescents, de jeunes adultes et même d’adultes plus avancés dans la vie, qui se posent la question de leur origine. Ces personnes savent ce qu’elles ne sont pas, et demandent à savoir ce qu’elles sont. Comment répondre à cette question ?
Très souvent, ces jeunes hommes et femmes savent depuis leur plus tendre enfance qu’ils ne sont pas les enfants biologiques de l’un ou l’autre de leurs parents. Ils le savent, car les familles sont raisonnables, et plutôt que d’entretenir des secrets, des illusions, des non-dit, plutôt que d’organiser une société « à la Mauriac », elles préfèrent dire comment les choses se sont passées : elles jugent préférable de dire la vérité plutôt que de voir celle-ci se révéler d’elle-même plus tard – car, on le sait, c’est lors de révélations tardives et brutales que surviennent les traumatismes.
Cependant, elles ne peuvent pas tout dire, puisqu’en l’état actuel de notre droit, elles peuvent dire à l’enfant qui il n’est pas, mais ne peuvent lui révéler son origine. Évidemment, cela pose des problèmes, ne serait-ce qu’en termes sanitaires : n’est-il pas gênant de ne pas pouvoir répondre à la question du médecin traitant : « Avez-vous des antécédents de telle ou telle affection dans votre famille ? »
Au-delà, le plus important me paraît être la question morale : qui veut être celui qui dissimule une histoire qui ne lui appartient pas ? Qui veut être celui qui, d’une manière ou d’une autre, refuse la vérité à l’enfant qui veut savoir ? Voulons-nous être celui-là et nier cette liberté fondamentale de savoir d’où l’on vient ?
Le principal argument s’opposant à la révélation des origines consiste à dire que cela reviendrait à prôner le « tout génétique », les bien-pensants étant, eux, partisans d’un « tout culturel ». Pour ma part, je pense que la nature est faite pour être corrigée, dirigée, transcendée, mais certainement pas niée : elle existe dans la construction de la personne, et on ne saurait la nier.
Que s’est-il passé au cours des trente ou quarante dernières années ? L’évolution des mœurs au cours des années soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix a conduit à dissocier la sexualité de la reproduction. Désormais, nous tendons vers une dissociation de la reproduction de la famille. Je le dis clairement, je n’adhère pas à ce modèle.
Nous sommes en train de passer du « tout biologique » au « non biologique », comme si les origines d’une personne étaient soit biologiques, soit culturelles, alors que je suis convaincu de leur double nature : à la fois biologique et culturelle.
En dissociant la procréation de la famille sociale, l’enfant n’est plus une personne à part entière, mais seulement le projet de ses parents. Il n’est plus sujet de sa vie, mais objet d’une création.
Or de très nombreuses personnes ne sont pas nées d’un projet, mais sont seulement le résultat d’une rencontre fugace, sans lendemain, parfois d’une relation violente ou pénible. Ces personnes existent pourtant, elles n’en sont pas moins hommes et femmes !
Ne nions donc pas le caractère naturel, la transmission biologique, et ne nions pas davantage le caractère culturel de la famille. Ne tombons ni dans le « tout social » ni dans le « tout génétique ».
Le meilleur hommage que nous puissions rendre à l’importance de la biologie, c’est de mettre l’accent sur l’organisation de notre système d’assistance médicale à la procréation. L’AMP va permettre la transmission biologique, puisque pour l’essentiel, c’est au sein d’un couple qu’elle s’effectue. Elle permet en effet une procréation biologique dans 92 % des cas – et dans les 8 % restants, on peut estimer que le patrimoine biologique est tout de même présent pour moitié, puisqu’un don de gamète de l’un ou l’autre sexe vient suppléer celui qui fait défaut.
Chacun comprendra que la famille ne peut pas être un milieu strictement social, « hors sol » : on ne peut faire abstraction de la réalité physique. Si la famille n’était qu’un milieu social, affectif et juridique – sur ce point, je m’adresse tout particulièrement à mes amis politiques –, nous nous exposerions à de dangereuses dérives. En effet, si la famille n’était qu’affective, un homme et un autre homme qui s’aiment – ce qui est possible, je ne le nie pas – pourraient créer une famille, ce qui ne me paraît pas possible. De même, si la famille n’était que juridique, demain la loi pourrait changer, et demain, deux hommes pourraient créer une famille.
La digue que nous devons mettre en place si nous voulons éviter d’avoir affaire à des familles dont nous ne voulons pas, car nous estimons qu’elles n’ont pas lieu d’être, consiste à affirmer que la famille est non seulement sociale, culturelle, affective, mais aussi biologique.
J’invite par conséquent ceux qui ont, un peu vite, repoussé le projet initial du Gouvernement, à reconsidérer leur position. En revalorisant la dimension biologique de la famille, on permet aussi de recadrer les choses, de remettre en place un certain nombre de réalités familiales. C’est, me semble-t-il, une chose qu’il est important de dire.
Mes convictions politiques sont fondées sur la notion de transmission et, sur ce point, je m’inspire d’excellents ouvrages, monsieur Mariton.
Quel est l’objet de la transmission ? Une réalité culturelle et linguistique, mais aussi, ne le nions pas, une dimension physique, biologique. Un père peut être fier que son fils lui ressemble, de même qu’un enfant peut se reconnaître dans ses parents – parfois justement quand les liens entre les générations ont tendance à se distendre.
On nous oppose aussi que l’enfant qui recherche son origine biologique commet l’équivalent d’une trahison à l’égard de la famille au sein de laquelle il a été élevé. Pas du tout ! Il ne cherche pas une nouvelle famille, mais veut simplement connaître ses origines – ce qui pourrait se faire dans un cadre défini.
Il faut absolument que les parents ayant bénéficié d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur sachent dire que ce n’est pas une trahison que de vouloir connaître ses origines. Laisser un enfant accéder à la vérité ne fera, finalement, que valoriser davantage la famille qui a su élever cet enfant.
On nous oppose encore que les SECOS ont besoin de matière première, qu’ils sont confrontés à l’offre et à la demande et que l’on risque de décourager les donneurs en les responsabilisant. Moi, je crois que le donneur doit, d’une manière ou d’une autre, être responsabilisé. Même si le don est rapide pour un homme – il est plus exigeant pour une femme –, il engage terriblement, puisqu’il concourt à la création. Cela, il faut savoir le dire.
Je vous engage à regarder ce qui se passe pour les jeunes hommes et les jeunes femmes qui sont derrière tout cela. J’ai été très frappé par le combat que mène, en Bretagne, Arthur Kermalvezen. Ce jeune homme de vingt-sept ans veut savoir. Il ne trahit personne, ne trouble personne. Il veut avoir des informations, et le SECOS n’a aucune légitimité pour s’exprimer parce qu’il n’a connu ce jeune homme que jusqu’au moment de la fécondation. Après, ce n’est plus son affaire. L’argument des SECOS n’est pas légitime ; celui du jeune concerné l’est.
Il faut que nous sachions évoluer, en prenant de multiples précautions. Le texte gouvernemental prévoyait notamment qu’il fallait avoir atteint la majorité.
L’essentiel, ce n’est pas la sécurisation de l’approvisionnement en gamètes. L’essentiel, c’est que chacun a droit à sa propre histoire parce qu’elle est fondatrice. Ce n’est pas à nous de la censurer.
Certains sauront et d’autres pas, mais il faut donner la liberté aux jeunes Français et aux jeunes Françaises de connaître l’origine de leur vie. C’est une reconnaissance pour la famille telle que la nature nous l’a donnée, c’est-à-dire à la fois sociale, affective, juridique et génétique. C’est la conquête d’une liberté pour les jeunes hommes et les jeunes femmes qui souhaitent connaître leurs origines. C’est la conquête d’une vérité, et cette conquête grandira le législateur. Nous avons, mes chers collègues, l’occasion d’ouvrir un chapitre du droit de l’enfant. Ouvrons cette perspective !