Point de vue LE MONDE | 26.11.08 | 13h31 • Mis à jour le 26.11.08 | 15h15
C’est sans doute l’ironie de l’histoire. La liberté d’entreprendre et l’économie de marché triomphent partout et dans le même temps le profit voulu pour lui-même, recherché par tous les moyens et
déconnecté de l’économie réelle, montre toute la puissance de sa nocivité. Cela doit nous conduire sur le plan national à ne pas laisser au seul marché le soin de réguler l’activité. Ainsi, la
proposition de loi en débat sur le travail dominical accroît quatre risques : la régulation des commerces par le seul marché, la compétition entre les territoires, la dichotomie entre le
consommateur et le citoyen et l’inégalité entre les salariés.
Tout d’abord on veut limiter l’ouverture dominicale à certaines zones géographiques, des « groupements urbains d’un million d’habitants ». Si la volonté de ne pas soumettre l’ensemble des
territoires à cette autorisation est louable, il faut en craindre les effets. Que deviendront les commerces concurrents qui, situés du mauvais côté de la frontière, verront partir leurs clients
du week-end vers « la zone » ? Et les commerces de proximité qui ont besoin d’un flux de passants pour vivre ? Ils seront à l’évidence appauvris et demanderont aux pouvoirs publics d’ouvrir à leur
tour le dimanche. Alors, le marché aura eu raison des pseudo-frontières administratives ; d’ailleurs, c’est le cas partout. Et nous aurons abouti à un résultat dont visiblement personne ne
souhaite l’avènement : la généralisation sans restriction du travail dominical. Cette compétition entre les commerces affectera les territoires. Il est à craindre que le phénomène de « pompe
aspirante » soit accentué, quand tout le monde en constate déjà la nuisance pour nos commerces de centre-ville.
La logique pure de marché prévalant ainsi entre les territoires produira les effets habituels : une concentration accrue du commerce dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs, et donc en un
petit nombre de lieux. Car c’est une des conséquences fréquentes de la liberté du marché livrée à elle-même : elle conduit presque toujours à des situations d’oligopole dont le bien-fondé social
et économique n’est pas démontré. Remarquons, d’ailleurs, que les représentants des artisans, du commerce de proximité et des PME sont opposés à la perspective d’un élargissement du travail
dominical car ils n’auraient pas les moyens de lutter contre cette concurrence déloyale. Les sondages produisent des résultats partagés à souhait, et leurs commentaires sont parfois déviés.
D’abord, la majorité de l’opinion n’est pas orientée aussi clairement en faveur de l’ouverture dominicale qu’on veut bien le dire.
Ensuite, ceux qui accueillent volontiers cette perspective lorsqu’ils sont dans la posture des consommateurs deviennent très réservés lorsqu’ils peuvent être concernés comme travailleurs. On veut
bien avoir des services et des commerces à portée de la main, sauf s’il faut se lever de bonne heure le dimanche pour que cela fonctionne… Comment l’encouragement d’une telle schizophrénie
pourrait nous procurer une croissance importante et durable ? A moins de considérer que la richesse se réduit à sa seule expression quantitative et monétaire, ce qui est indéfendable. Et à
supposer que l’extension de l’ouverture dominicale crée des emplois, ce qui n’est pas démontré : toutes les études montrent qu’un emploi créé dans la grande distribution en détruit trois dans le
commerce de détail. Il est dit que les salariés concernés par ce projet seraient protégés par le volontariat ; ils ne pourraient donc encourir aucune sanction pour avoir refusé de travailler le
dimanche. Il ne manquerait plus que ça ! Mais qui pourra reprocher à un chef d’entreprise, en bon gestionnaire, de privilégier la progression de carrière de ceux qui auront fait l’effort de se
mobiliser les dimanches ? Personne. L’instauration du travail dominical sans limitation dans certains secteurs produira donc, à coup sûr, deux catégories de salariés, du fait d’une discrimination
exagérément positive liée à la bonne marche de l’activité.
LES LIMITES DU VOLONTARIAT
Et puis, chacun connaît les limites du volontariat : sans faire de procès d’intention aux chefs d’entreprise, il est peu probable que les salariés sollicités le dimanche puissent avoir d’autre
choix que celui d’accepter. Parfois même, les parents isolés seront mis dans la situation de devoir travailler le dimanche pour préserver leur métier et son évolution, avec la conséquence que
l’on imagine sur la garde de leurs enfants : devront-ils dépenser la majeure partie de leur rémunération bonifiée (lorsqu’ils l’auront obtenue) pour rémunérer leur assistante maternelle ? Il est
difficile d’entrevoir, dans les situations de ce genre, un réel progrès social. Certes, ces différents risques ne sont pas l’intention des promoteurs de la proposition de loi en débat. Ils y sont
cependant contenus en germe. Et il est tout de même très malvenu qu’un tel message soit adressé aux Français par les temps qui courent. La crise mondiale devrait nous inviter à prendre le temps
de réfléchir à ses causes et à ses conséquences. Alors que l’absence de repères personnels et sociétaux est de plus en plus cruelle, il n’est pas acceptable de faire courir aux Français ce risque
de généralisation du travail dominical, proche ou lointain. Et, dans cette proposition de loi, ce risque est plus proche qu’on veut bien l’admettre. Pour cette raison, même s’il faut trouver les
moyens de régler localement les situations aujourd’hui irrégulières, il n’est pas souhaitable qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour de notre Assemblée.
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Jean-Frédéric Poisson (Yvelines), Marc Le Fur (Côtes d’Armor), Philippe Meunier (Rhône), Xavier Breton (Ain), Marie-Christine Dalloz (Jura), Laure de la Raudière (Eure et Loir), Jean Dionis du
Séjour (Lot-et-Garonne), Hervé Gaymard (Savoie), Philippe Gosselin (Manche), Bernard Reynes (Bouches-du-Rhône), Patrice Verchere (Rhône), Maire-Jo Zimmermann (Moselle) et 46 autres députés des
groupes UMP et Nouveau Centre.