Les députés ont adopté dans la nuit du 9 juillet le projet de loi de réforme constitutionnelle, et notament l’amendement n° 86 présenté par Marc Le Fur visant à permettre la reconnaissance des langues régionales dans la constitution. Pour Marc Le Fur, il s’agit d’un moment émouvant et de l’aboutissement d’un long travail de conviction au sein de l’Assemblée Nationale engagé depuis plusieurs années. Marc Le Fur attend maintenant un vote conforme du Sénat qui mettrait ainsi fin à l’opposition sans fondement entre les deux chambres.
Commission
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Gouvernement
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Compte-rendu de la 2ème séance du mercredi 9 juillet 2008
Après l’article 30 sexies
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – L’amendement 38 vise à réintroduire dans la version votée par l’Assemblée l’alinéa relatif aux langues régionales, selon lequel, » les languies régionales appartiennt au patrimoine de la France ». Il constituerait l’article 75-1 de la Constitution.
M. Marc Le Fur – L’amendement 86 est identique. Un certain nombre de parlementaires ont essayé, à l’occasion de plusieurs débats de révision constitutionnelle, d’introduire dans la Constitution une référence aux langues régionales. Nous avons d’abord eu un succès d’estime, puis nous avons progressé. Un débat a notamment été organisé dans cette enceinte le 7 mai, au cours duquel a été annoncée une loi, très attendue, sur leur défense et leur rayonnement. Le 22 mai enfin, notre assemblée adoptait à la quasi-unanimité cet amendement. Mais le Sénat nous a beaucoup déçus. La solution du rapporteur, qui consiste à reprendre notre texte en l’insérant à un autre endroit de la Constitution, nous paraît excellente. Cela ne change rien pour les langues régionales, puisqu’il n’y a pas de hiérarchie des articles, et le geste sera apprécié de nombre de nos concitoyens. Je tiens à saluer le soutien constant du Gouvernement sur cette question ainsi que l’initiative du rapporteur et président de la commission des lois (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Yves Bur – Je voudrais à mon tour remercier le rapporteur pour avoir su trouver cette solution consensuelle, ainsi que Marc Le Fur pour sa ténacité. Il est important de reconnaître ce que les langues régionales apportent à notre patrimoine. Cette inscription dans la Constitution ne sauvera pas pour autant les langues régionales : pour cela, il faut les parler. Il n’est pas question non plus, par l’introduction de cet article, de créer des droits nouveaux qui pourraient se retourner contre nous – et je sais que l’alsacien est la langue régionale la plus parlée dans notre pays. Ceux qui avaient cette crainte peuvent être rassurés.
M. Jean-Jacques Urvoas – Il faut effectivement se féliciter de retrouver le consensus de la première lecture. L’introduction des langues régionales dans la Constitution ne porte en rien atteinte à l’unité de la République, mais est indispensable pour permettre leur développement. Mon groupe regrette le comportement du Sénat, dont la majorité a agi pour des raisons qui n’ont échappé à personne. Il nous faut donc revenir à notre texte. En première lecture, nous avions souhaité qu’il soit introduit à l’article 2 de la Constitution, parce que nous ne souhaitons pas qu’il n’ait qu’un effet déclaratif, mais qu’il emporte des conséquences juridiques. Dans un esprit de compromis, nous avions accepté que l’amendement figure dans l’article premier. Vous proposez désormais un article 75-1, mais il n’y a aucune raison d’insérer cette disposition dans le titre consacré aux collectivités territoriales. On pourrait même y voir un aveu que la promotion des langues régionales n’est pas une préoccupation du Gouvernement, ce qui soulève le doute sur la loi qu’a promise Mme Albanel. Ce nouvel article renvoie explicitement une compétence aux collectivités sans leur en donner les moyens. Certes, les articles de la Constitution ne sont pas hiérarchisés, mais cette décision est un fâcheux symbole du peu d’intérêt que porte le Gouvernement à cette question (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Enfin, on a entendu en commission que la promotion des langues régionales créait un risque d’enfermement régionaliste. Mais les Bretons savent que tous ceux qui étaient à Valmy ne parlaient pas la même langue, n’adoraient pas les mêmes dieux et n’utilisaient même pas les mêmes unités de mesure. Ainsi que l’a dit Condorcet, la France comptait 26 millions de Français, dont 6 savaient lire et écrire notre langue, mais c’est pourtant eux qui ont fait la République.
M. Jean-Christophe Lagarde – L’amendement 117 est identique, et le 305 a le même objet, mais insère le texte proposé à l’article 2 de la Constitution. Ce n’est pas la première fois que nous tentons d’inscrire les langues régionales dans la Constitution. Je me réjouis qu’on y arrive enfin, sans pouvoir comprendre comment le Sénat, qui représente théoriquement, puisqu’il paraît qu’il a une légitimité, les territoires, peut refuser de reconnaître cet élément fondamental de leur identité. Mes collègues Francis Hillmeyer, d’Alsace, Thierry Benoit, Breton, et Philippe Folliot pour le sud-ouest seront particulièrement heureux que cette belle avancée soit votée quasiment à l’unanimité de cette assemblée, et inscrite dans notre Constitution – si ce projet est adopté à Versailles.
M. Dominique Raimbourg – L’inscription des langues régionales dans la Constitution ne porte bien évidemment pas atteinte à la prééminence du français. La faire figurer à l’article 2 lui conférerait toute sa portée juridique, plutôt qu’un effet seulement déclaratif. C’est un signal positif pour les nombreux citoyens qui ont pu considérer à juste titre qu’ils n’étaient pas suffisamment considérés. Enfin, cette reconnaissance préfigure, à l’heure où l’anglais est devenu langue internationale, notre capacité à défendre le français lorsqu’il deviendra, comme l’allemand ou l’Italien, une langue minoritaire dans le monde.
M. Hervé Mariton – Ce n’est pas le meilleur argument !
M. Paul Giacobbi – L’amendement 250 rectifié tend à insérer la même disposition, mais à l’article 2. Ces amendements ont effectivement une longue histoire et après le vote quasi unanime de notre assemblée, ce qui n’est pas si fréquent, le Sénat puis l’Académie française se sont illustrés – par leur ignorance. À croire que l’Académie n’a jamais lu Villon, qui écrit l’argot, Hugo qui le magnifie, Balzac qui donne tant de force aux parlers régionaux et Molière qui montre la diversité du parler français. Les langues régionales font partie de l’identité française, point n’est besoin d’avoir lu Braudel pour s’en rendre compte. Et le débat au Sénat a laissé passer des vulgarités et des sottises comme rarement on en entend.
M. Jean-Christophe Lagarde – Sauf au Sénat.
M. Paul Giacobbi – Penser que les langues régionales menacent le français, c’est ignorer le fait fondamental que la richesse des langues, leur créativité naît de leur diversité. Vouloir une langue pure et parfaitement conservé, c’est la tuer. La disposition qui va être votée aura une portée juridique indirecte : elle n’ajoute rien au droit actuel, mais si elle n’était pas adoptée, le Conseil constitutionnel pourrait s’appuyer sur la reconnaissance du français comme langue de la République – disposition étrange qui n’ajoute pas grand-chose à l’ordonnance de Villers-Cotterêts – pour annuler certaines dispositions du projet de loi sur les langues régionales qu’on nous annonce.
Par ailleurs, il faut être conscient que la pratique du français s’effondre dans le monde, et dans les organisations internationales. Heureusement que les Québécois sont là pour le soutenir. Reconnaître les langues régionales comme un patrimoine, c’est aussi reconnaître que ce patrimoine est menacé – et c’est une partie de la France qui disparaîtrait avec elles. Or, le français se comporte dans le monde comme les langues régionales en France. À quand l’anglais dans cette salle ?
M. Jean-Pierre Brard – Demandez à Mme Lagarde !
M. Jean-Pierre Brard – L’amendement 303 a le même objet que le 250 rectifié. Le sujet est important. Le recul du français dans le monde nous confronte à nos propres responsabilités. Chacun connaît en effet l’inanité des politiques menées en faveur de la francophonie : les moyens qui leur sont alloués restent médiocres et nous sommes incapables d’utiliser l’espace de la francophonie comme un levier au service de la coopération économique.
Soyons clairs : sans contester la place du français comme langue de la nation toute entière, notre plurilinguisme régional nous ouvre sur la richesse culturelle. Nous devons accepter la pluralité linguistique qui est ancrée dans nos territoires.
Contrairement à ce qui a été dit au Sénat, ni l’unicité du peuple français, ni l’indivisibilité de la République, ni le principe d’égalité devant la loi ne seront remis en cause, bien au contraire. N’enterrons pas le résultat des riches débats que nous avons eus en première lecture : nous étions parvenus à une solution satisfaisant une large partie de l’hémicycle en amendant l’article premier de la Constitution.
En reconnaissant les langues régionales, nous répondrons aux souhaits de nombreuses associations et nous consacrerons la participation active et vivante de ces langues à notre patrimoine linguistique commun, au même titre que le français – même si ce n’est pas à la même place. Je ne reviendrai pas sur les bienfaits du respect et de la promotion des langues régionales, car ce sujet a déjà été abordé. Je fais miens les propos de Marc Le Fur sur ce point.
La proposition de créer un article 75-1, adoptée par la commission des lois, est un retour en arrière. Il est certes plus facile pour l’État de se défausser une fois encore sur les collectivités territoriales, déjà victimes de nombreux transferts de compétences sans affectation des recettes financières correspondantes, mais cela revient à abdiquer nos responsabilités. Une politique linguistique n’a pas le même sens, ni d’ailleurs le même poids, selon qu’elle émane de l’État, d’une région ou d’un département.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur – La commission préfère naturellement son amendement 38 ainsi que les 86 et 117 qui lui sont identiques. Avis défavorable aux autres amendements.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Vos débats ont témoigné de votre attachement aux langues régionales, et un amendement complétant l’article premier de la Constitution avait été adopté en première lecture pour reconnaître l’héritage qu’elles constituent.
Le Sénat a toutefois repoussé cette disposition, certains de ses membres considérant qu’elle n’avait pas sa place dans la Constitution, faute de valeur normative ; d’autres ont au contraire estimé que l’amendement remettait en cause les principes d’égalité des citoyens, d’indivisibilité de la République et d’unicité du peuple français.
Il est aujourd’hui proposé de reprendre cette disposition au sein du titre XII de la Constitution, relatif aux collectivités territoriales. Une telle solution de compromis éviterait que les langues régionales soient mentionnées avant le français dans le texte constitutionnel, ce qui ouvre la voie à un accord du Sénat.
Avis favorable à l’amendement 38, dont l’adoption satisfera les amendements 86 et 117 ; défavorable aux autres amendements.
M. Jacques Myard – Vous me permettrez de m’interroger, même si cela doit rompre ce beau consensus… Nul ne peut contester que les langues régionales appartiennent à notre patrimoine national. Ces langues sont là, elles sont parlées par certains de nos concitoyens, et elles nous apportent une richesse linguistique supplémentaire, sans que cela fragilise pour autant la primauté de la langue française, qui est reconnue par l’article 2 de la Constitution.
Toutefois, il ne faudrait oublier que ce texte n’est pas le seul en jeu : il y a aussi la charte des langues dites minoritaires, issue des travaux menés dans l’entre-deux-guerres par la SDN en faveur des nations enclavées dans d’autres pays. À l’origine, il n’était pas du tout question d’une protection des langues régionales…
Je ne voterai pas cette disposition, car on ne mesure pas bien les dangers de l’utilisation politique des langues. La Charte nous y expose, sans que nous mesurions la dynamique qui nous attend. Le Gouvernement peut-il d’ailleurs nous indiquer s’il envisage de ratifier ce texte ? Ce serait mettre la main dans un engrenage que nous ne maîtrisons pas.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux – Il n’en est pas question.
Les amendements 38, 86 et 117, mis aux voix, sont adoptés.