Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 212, visant à supprimer l’article 60.
La parole est à M. Marc Le Fur.
M. Marc Le Fur. Il y a quelques semaines, nous avons adopté à l’unanimité la traduction législative du Grenelle de l’environnement et il nous faut à présent respecter cette belle ambition, mais tenir compte aussi d’un autre souci : celui de l’activité économique. Notre travail consiste à placer le curseur au mieux entre ces deux objectifs. Cependant, depuis le temps où les différents groupes étaient réunis pour le Grenelle de l’environnement – il y a de cela un an –, la situation économique a changé : nous sommes en crise.
Or, que nous propose l’article 60 ? De créer une fiscalité – peu négligeable puisque la recette envisagée se situe à un milliard d’euros – sur les poids lourds, la logistique, c’est-à-dire sur l’ensemble de l’économie et plus précisément sur les pondéreux : tout ce qui exige des transports et qui comporte une grosse part de transport dans le prix final.
Cela revient donc à instaurer une fiscalité sur le lait, la viande et l’ensemble des pondéreux transportés par les camions. Vous me direz, monsieur le secrétaire d’État, qu’elle ne sera mise en œuvre que dans trois ans. Mais c’est bien pis ! La recette sera peut-être perçue dans trois ans, mais c’est aujourd’hui que ce message négatif est envoyé aux transporteurs. Cela suffit, me semble-t-il, pour que nous examinions la disposition d’un peu plus près.
Par ailleurs, le but du texte est de confier, via un appel d’offres, la collecte de la taxe et la définition de son assiette à un partenaire privé qui engagera, le cas échéant, les poursuites nécessaires. En somme, on rétablit les fermiers généraux d’avant 1789 : jusqu’à présent, notre tradition fiscale attribue en effet la collecte de l’impôt à des régies. Au reste, le Conseil d’État est tout ce qu’il y a de plus réservé sur le présent article.
Tout cela m’incline à penser, monsieur le secrétaire d’État, que nous devrions engager une réflexion plus approfondie, afin de prendre également en compte l’objectif d’aménagement du territoire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Mariton, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné cet amendement mais, à titre personnel, je n’y suis pas favorable.
Que l’on soit pour ou contre cette taxe, le fait est que nous avons choisi de la créer dans le cadre du Grenelle. La traduction dans ce PLF en est-elle parfaite ? Non, et nous allons longuement en discuter. En particulier, la transmission de la charge de la taxe jusqu’à son payeur final n’est pas assez précise : il faut donc y remédier si l’on veut éviter de dégrader encore la compétitivité économique du transport routier, ce qui aurait des conséquences pour l’emploi.
Mais, sur le principe, veut-on ou non de la taxe poids lourds ? Pour des raisons environnementales, et parce qu’il nous faut trouver des ressources pour mettre en œuvre la politique d’infrastructures que nous appelons de nos vœux – laquelle permettra un basculement modal du point de vue environnemental, économique et de l’aménagement du territoire –, nous avons choisi de la créer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Je serai un peu long, afin de préciser les choses, comme je l’ai déjà fait en répondant à Mme Gruny.
Un peu d’histoire. En 2002-2003, la République Fédérale d’Allemagne met en place, non sans difficultés techniques, la LKV-Maut, système de prélèvement par GPS, sur l’ensemble de son réseau d’autoroutes et de routes fédérales. Le partenaire économique est d’ailleurs une entreprise française, qui crée des emplois dans notre pays. L’Autriche puis la République Tchèque se lancent à leur tour dans le système. Enfin, pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy inscrit cette éco-redevance dans son programme, à la définition duquel certains d’entre vous ont d’ailleurs participé, de sorte que nul n’est pris en traître.
M. Bertrand Pancher. Tout à fait !
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Parallèlement, à l’initiative d’Yves Bur, une éco-redevance est expérimentée en Alsace : afin d’échapper à la LKV-Maut, les poids lourds quittent en effet la rive droite du Rhin pour la rive gauche, restée gratuite, entre Strasbourg et Mulhouse.
Afin de respecter les engagements de campagne du Président de la République, Jean-Louis Borloo et moi vous avons proposé, dans le texte de mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, de créer cette éco-redevance pour le réseau des routes nationales – du moins pour ce qu’il en reste, puisqu’il a beaucoup diminué – et des autoroutes actuellement gratuites.
Par ailleurs, l’article 10 du texte de mise en œuvre du Grenelle prévoit de prendre en compte les problèmes des régions les plus périphériques et les alternances de modes de transport – et je suis moi-même, monsieur Le Fur, président du conseil général d’un département situé en bord de mer, qui pourrait à ce titre se dire périphérique, mais qui ne le demande pas, par solidarité nationale.
Nous nous engageons en outre à prévoir, comme c’est normal vis-à-vis des entreprises de transport, dont Mme Gruny rappelait les difficultés, une série de compensations. Votre assemblée le sait bien, puisqu’elle a voté, au mois de juillet, avec la loi TEPA, l’obligation pour les transporteurs routiers de répercuter intégralement sur les chargeurs l’augmentation du carburant. Toutes les grandes organisations professionnelles nous le demandaient.
La mise en œuvre de l’éco-redevance, avec toutes les compensations que j’évoquais, est prévue pour 2011-2012 : à cette date, monsieur Le Fur, la crise, je l’espère, sera terminée. M. Méhaignerie et M. Goulard le savent bien : nous avons ouvert le débat sur le fonctionnement du transport routier, les conditions et les horaires de travail, le cabotage et les mesures de sauvegarde que la France pourrait être amenée à prendre. Nous tenons donc nos engagements. J’ajoute que tout cela se fera dans la concertation avec les organisations du transport routier, les chargeurs et les collectivités territoriales. L’affaire est d’importance, et nous ne devons pas échouer. Il ne faudrait pas non plus que nos camions entassent les dispositifs européens sur leur tableau de bord : nous avons un peu de temps devant nous pour rendre le système interopérable. Mais, pour lancer l’appel d’offres et financer nos infrastructures, nous devons dès aujourd’hui adopter le présent article.
Je serai moins long pour mes prochaines interventions, madame la présidente, mais je répète que le Gouvernement est tout à fait hostile à cet amendement de suppression, qui remettrait en cause l’une des mesures essentielles du Grenelle, d’ailleurs votée à l’unanimité sur ces bancs.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Poignant.
M. Serge Poignant. Le président Ollier ne pouvant être présent à cette heure, il m’a demandé de vous faire part de son opinion, ce que je fais volontiers en ma qualité de vice-président de la commission des affaires économiques.
Le président Ollier considère que nous ne pouvons pas ne pas instaurer cette taxe aujourd’hui, compte tenu des délais nécessaires à sa mise en œuvre en 2011. Il souhaite toutefois que nous restions au plus près de l’amendement voté avec le texte relatif au Grenelle, amendement qui prévoit certaines modulations,…
M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Bien sûr !
M. Serge Poignant. …que j’avais d’ailleurs souhaitées, étant moi-même député de l’Ouest.
En tout état de cause, le président Ollier ne souhaite pas que l’article soit supprimé.
Mme la présidente. La parole est à M. François Goulard.
M. François Goulard. Les cosignataires de l’amendement présenté par Marc Le Fur ne sont évidemment pas hostiles à la disposition du Grenelle que nous avons tous votée.
Le problème est donc le suivant. La mesure, dont on a rappelé les montants, est lourde de conséquences. Or le Gouvernement ne nous a fourni aucune étude d’impact sérieuse au plan national. Pourtant les conséquences sont nombreuses. Dans certains cas, la taxe vise à favoriser d’autres modes de transport, objectif auquel nous souscrivons. Toutefois, selon les régions, les activités et les modes de transport disponibles – desserte ferroviaire, transports fluviaux –, le report modal peut être considérable ou quasi-inexistant.
En outre, nos régions diffèrent beaucoup par leurs économies et la nature de leurs productions : dans certains produits à forte valeur ajoutée, le coût du transport est relativement modeste ; dans d’autres, il est élevé. On ne peut pas non plus négliger les distances. Compte tenu de la géographie et des dessertes existantes, les régions françaises sont plus ou moins bien loties, selon leur distance avec les grandes zones de consommation européennes.
Toutes ces données militent évidemment en faveur d’une étude précise, l’article 10 du texte relatif au Grenelle ayant été aussi adopté pour prendre en compte des objectifs d’aménagement du territoire, donc pour adapter la taxe.
Quant à la nécessité de voter celle-ci dès cette année pour lancer l’appel d’offres, l’argument me paraît irrecevable. Monsieur le secrétaire d’État, on lance tous les jours des appels d’offres dans notre pays sans que les mesures concernées n’aient été gravées dans le marbre de la loi ! On peut très bien lancer un appel d’offres et conduire tous les travaux nécessaires afin que le dispositif soit techniquement prêt dans trois ans sans avoir besoin de légiférer dès aujourd’hui, qui plus est en l’absence d’éléments d’information sérieux.
Tel est l’esprit qui nous anime : prendre le temps d’une étude sérieuse, tout en appliquant le Grenelle que nous venons d’adopter. Mais les raisons que je viens d’exposer nous conduisent à refuser de voter la taxe dès cette année.
M. Marc Le Fur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Grouard.
M. Serge Grouard. Nous touchons à une disposition essentielle du PLF, et ce à plusieurs titres : sur le plan financier, elle met en jeu des sommes élevées mais, plus en encore, elle pose une question de principes.
On a, en somme, opposé la crise économique, que l’on ne saurait nier, à la crise écologique, dont nous ne parlons plus.
M. Marc Le Fur. Il faut tenir compte des deux !
M. Serge Grouard. Or la seconde est tout aussi présente, et peut-être même, dans sa durée et ses effets, plus grave que la première.
On développe une logique d’opposition : on ne pourrait pas mettre en œuvre l’éco-redevance parce que la crise économique ne le permettrait pas. Mais c’est tout le contraire : la logique du Grenelle est précisément de transformer notre économie afin de lui donner les atouts dont elle a besoin pour l’avenir. Il s’agit aussi de répondre à la crise écologique.
Nous avons une grande responsabilité dans le choix fondamental que nous devons faire aujourd’hui au sujet d’une disposition qui, d’ailleurs, n’est qu’une parmi d’autres dans le grand « verdissement » budgétaire et fiscal. Soit nous y allons, soit nous n’y allons pas : il faut choisir.
C’est également notre crédibilité qui est en jeu : comme M. le secrétaire d’État l’a rappelé, le Président de la République s’est engagé dans cette démarche, et nous le soutenons. Ne prêtons pas le flanc à ce reproche, que l’on entend parfois, de vider le Grenelle de sa substance au gré des textes que nous votons.
Sur le fond, cette éco-redevance servira à mettre en œuvre un autre engagement fort du Grenelle, qui est de favoriser des moyens de transport moins polluants, comme le rail et les transports en site propre. Avec le budget tel qu’il nous est proposé, en 2011, ce sont 880 millions d’euros qui abonderont le budget de l’AFITF pour aider au financement de lignes à grande vitesse et de transports en site propre. Si cet abondement se réduit progressivement, comment les collectivités financeront-elles leurs projets ? Leur faudra-t-il y renoncer ? Voulons-nous, oui ou non, nous donner les moyens de financer ces modes de transport propres ?
S’agissant enfin de l’appel d’offres, les délais sont déjà relativement courts. En Allemagne il a fallu trois ou quatre ans pour mettre en œuvre ce type de dispositif, complexe il est vrai. Si nous prenons du retard aujourd’hui, les financements pour les projets dont je viens de parler seront compromis. Il nous faut être cohérents avec notre vote sur le Grenelle de l’environnement.
Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.
M. Bertrand Pancher. Nous n’atteindrons pas nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre si nous ne prenons pas des mesures pour limiter le trafic automobile et le transport par poids lourds. Ne pas mener le combat sur ces deux fronts, c’est se résigner à polluer. Les transports sont responsables de 34 % des émissions de CO2 et recourent pour 94 % à des énergies fossiles. Si nous voulons être cohérents avec les objectifs du Grenelle de l’environnement, cette taxe poids lourds est indispensable.
D’autre part, nous avons travaillé pendant un an avec la société civile, notamment les associations et la Fédération nationale des transports routiers, et nous sommes parvenus à un accord, que le Grenelle 1 a entériné par une pratique démocratique renouvelée, tenant compte de l’avis de ceux qui sont concernés. Respectons cette démarche, ainsi que le travail accompli par des milliers de personnes, tout au long de plusieurs centaines de réunions. À quoi bon, sinon, avoir voté la loi d’orientation ?
Il y a, nous dit-on, la crise économique, qui nous imposerait de polluer pour en sortir. Mais en période de croissance, on pollue aussi ! Bref, on pollue dans tous les cas… Travailler pour l’environnement, c’est aussi gérer nos contradictions. Entre deux maux, je préfère choisir le moindre : engageons-nous dans une action ferme en faveur de l’environnement et trouvons des adaptations locales. Mais, de grâce, ne revenons pas en arrière !
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Herth.
M. Antoine Herth. Le ministre ayant cité l’Alsace, je voudrais faire part de l’expérience de notre région, et m’opposer à l’amendement de M. Le Fur. Je comprends sa réaction, mais j’ai le sentiment qu’il découvre un sujet dont les parlementaires alsaciens sont familiers depuis trois ans. Il est vrai que l’Est de la France vivait une situation particulière : à la suite de la taxation mise en œuvre par l’Allemagne, une partie du trafic se reportait sur nos routes. Nous demandant comment réagir à cette distorsion économique et à la saturation de notre réseau, nous avions déposé un amendement, qui a été voté, à la surprise du Gouvernement, et qui nous a permis de mener une expérimentation dans ce domaine. Nous avons alors pris le temps de la négociation et contacté les entreprises de transports de la région, ainsi que le commissaire Jacques Barrot, qui a bien voulu se déplacer et qui nous a dit que nous ne pouvions pas faire n’importe quoi – et surtout pas faire payer les transporteurs alsaciens moins que ceux immatriculés dans d’autres départements, car cela aurait constitué une distorsion de concurrence.
M. Le Fur a également justifié son amendement par le fait que la Bretagne ne pouvait bénéficier de report modal. Mais l’Alsace non plus : il ne devient intéressant qu’au-delà de 500 kilomètres. Reste que l’économie bretonne sera peut-être l’une des premières bénéficiaires des infrastructures qui seront mises en place à l’échelle nationale, voire européenne. Le Grenelle comprend en effet de nombreuses dispositions sur le cabotage maritime et la modernisation des ports maritimes.
M. François Goulard. C’est un spécialiste qui parle !
M. Antoine Herth. J’ai même interrogé le ministre sur les ports fluviaux, car certains des nôtres sont saturés, et rien n’a été prévu pour les développer.
Je pense qu ce sont les clients des transporteurs qui, en fin de compte, paieront la note.
Lors de l’examen du projet de loi relatif au Grenelle de l’environnement, j’avais indiqué à M. Bussereau qu’il était absolument nécessaire de voter la présente disposition pour pouvoir lancer des appels d’offres. La région Alsace a pris le risque d’organiser une expérimentation, mais elle ne pourra pas le faire et ouvrir la voie d’une généralisation en 2011 ou 2012 si l’on supprime l’article 60. J’insiste donc en faveur de son maintien.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Cochet.
M. Yves Cochet. Le débat traverse même la majorité, et je puis le comprendre. Je suis contre cet amendement, pour des raisons qui viennent d’être exposées, mais aussi à cause de la gravité de la crise écologique, qui est d’ailleurs à la racine de la crise financière, laquelle est en train de devenir économique et, bientôt, sociale. La dérégulation du marché financier n’est pas seule en cause, loin de là : c’est la hausse des prix des matières premières et de l’énergie qui a pesé sur les budgets des ménages, les empêchant de rembourser des emprunts qui, effectivement, étaient à risque.
M. Franck Gilard. Ce n’est pas idiot, mais c’est un peu court !
M. Yves Cochet. C’est quelque chose que l’on constate depuis 2007.
La crise écologique est très grave. Or, comme l’a montré il y a deux ans le rapport de M. Stern, économiste à la Banque mondiale qui travaille maintenant pour le gouvernement britannique, nous ne payons pas les coûts externes de notre mode de déplacement. Et plus nous reporterons les décisions – certes difficiles –, plus cela nous coûtera cher. Nous ne ferons que faire porter à nos enfants le poids de ce que nous n’avons pas le courage de faire maintenant. Les Verts le disent depuis 1974, à l’époque de René Dumont.
Il faudra donc que tout le monde passe à la caisse : aujourd’hui ce sont les transporteurs, demain ce seront d’autres, mais tout le monde devra payer un peu pour protéger notre environnement et aussi notre santé.
Moi aussi, je suis breton (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais le débat est national, et quelle région, à part l’Île-de-France, n’est pas périphérique ?
En Bretagne, 98 % du fret transite par la route.
M. François Goulard. C’est vrai.
M. Yves Cochet. Mais c’est la seule région de France où les autoroutes sont gratuites. Et elle voudrait ne pas payer la taxe ? C’est demander un double avantage.
La Bretagne a beaucoup de ports, mais depuis qu’on a construit, voici une quinzaine d’années, l’autoroute des estuaires – j’étais contre, M. Méhaignerie s’en souvient –, le port de Saint-Nazaire a perdu du fret au profit du Havre, d’où les marchandises partent en camion pour rejoindre, par cet axe, le sud de la France. Faisons plutôt les autoroutes de la mer !