TRIBUNE – Alors que la proposition de loi révisant les lois de bioéthique est examinée au
Parlement à partir de ce soir, le député de la Manche, Philippe Gosselin, qui cosigne cette tribune avec 21 autres députés*, considère qu’avec une telle loi l’humanité de
l’embryon serait niée.
Le débat relatif au
mariage homosexuel étant clos sur le plan parlementaire,
un nouveau front va surgir: la recherche sur l’embryon. Le décret du 14 juin 2013 fixant l’ordre du jour de la session extraordinaire intègre en effet la poursuite de l’examen de la
proposition de loi tendant à modifier la loi no 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la
bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les
cellules souchesembryonnaires. On espérait que, contrairement à
ce qui s’est passé cet hiver, où une opération commando a été menée par les promoteurs de la recherche sur l’embryon, le gouvernement examinerait la question, cette fois, au
grand jour et dans des conditions permettant le débat. Hélas, le passage en catimini, à la sauvette et en force, est à nouveau la modalité privilégiée. Il y a quelques mois, en
pleine mobilisation autour du mariage,
le gouvernement poussait une proposition de loi votée en deux heures au Sénat en pleine
nuit, et
discutée à l’Assemblée dans le cadre d’une petite niche parlementaire. En
définitive, grâce au travail de l’opposition, le vote n’a pas pu avoir lieu, l’opération a échoué. Les partisans de la recherche sur l’embryon, qui ne s’attendaient pas à
rencontrer un échec, n’ont pas trouvé d’autre explication que celle de l’obstruction.
Or l’opposition ne fait que son travail: face à un passage en force orchestré pour servir des
intérêts industriels et financiers, quelques députés, soucieux de l’intérêt général, ont réclamé et réclameront encore demain qu’on puisse débattre de l’enjeu. Car l’embryon mérite
plus qu’une niche. L’enjeu exige de présenter au grand jour les véritables intérêts qui justifient cette transgression supplémentaire.
Tout d’abord, la recherche sur l’embryon humain n’a rien d’une évidence scientifique.
Prétendre que la recherche sur l’embryon est indispensable pour soigner certaines maladies relève de la manipulation. Aujourd’hui, les cellules souches adultes et de sang de cordon sont
les seules à être utilisées en thérapie cellulaire. Ainsi, pour certains types de pathologies, les greffes de cellules souches non embryonnaires soignent déjà des patients.
D’ailleurs, si vraiment la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires était porteuse d’espoirs et offrait des perspectives thérapeutiques, le régime actuel
d’interdiction de principe avec dérogations suffirait. En effet, celui-ci prévoit déjà que les recherches poursuivant des «progrès médicaux majeurs» peuvent être autorisées par
dérogation. La volonté de passer à un régime d’autorisation, en supprimant l’exigence de «progrès médicaux majeurs», traduit implicitement l’aveu que l’ambition de soigner les
patients grâce aux cellules souches embryonnaires est abandonnée. Quant aux cellules souches reprogrammées (iPS) du
Pr Yamanaka (Prix Nobel de médecine 2012), elles offrent des
perspectives plus prometteuses que les cellules souches embryonnaires en matière de thérapie cellulaire. La rapidité du lancement du premier essai clinique sur la
DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) et les investissements massifs
qui se portent – à l’étranger – sur les iPS marquent l’importance du potentiel de cette recherche. S’agissant de la modélisation des pathologies et du criblage de
molécules, les iPS sont déjà utilisées comme alternative à l’embryon humain.
« L’enjeu de la recherche sur l’embryon ne relève pas de l’intérêt général mais de l’intérêt
particulier et financier – de l’industrie pharmaceutique »
Ensuite, la levée de l’interdiction de la recherche sur l’embryon constitue un
bouleversement juridique. La proposition de loi fait fi du principe de protection de l’embryon humain, garanti par l’article 16 du Code civil, la Constitution et plusieurs
conventions internationales. En prévoyant de passer d’un régime d’interdiction de principe à un régime d’autorisation de principe, elle traduit un changement de paradigme inédit au terme
duquel le principe fondateur de la protection de l’être humain deviendra une exception à la règle nouvelle de sa non-protection. L’humanité de l’embryon est niée
comme elle ne l’a jamais été. Cette perspective est d’autant plus préoccupante que cette révision majeure de la loi bioéthique, qui concerne autant les citoyens que les
experts, pourrait passer sans l’organisation d’états généraux, pourtant obligatoires.
Enfin, ce changement majeur ne se justifie ni sur le plan éthique ni sur le plan
politique. L’embryon est un membre de l’espèce humaine: ce n’est pas une conviction, ni une opinion, mais un constat scientifique. Or le respect de tout être humain,
particulièrement les plus fragiles, est constitutif du pacte républicain et au fondement de notre civilisation. Autoriser la recherche sur l’embryon nous ferait donc quitter le
pacte républicain et abandonner nos valeurs fondatrices.
Les responsables politiques sont en principe garants de l’intérêt général. Or, l’enjeu de
la recherche sur l’embryon ne relève pas de l’intérêt général mais de l’intérêt particulier – et financier – de l’industrie pharmaceutique qui considère l’embryon humain comme un
moyen simple et peu onéreux de modéliser des pathologies, et cribler des molécules alors que les cellules iPS peuvent rendre ce service. Les modifications de la législation relative
à la bioéthique peuvent-elles être conduites par les besoins du marché? Comment le président de la République et sa majorité peuvent-ils envisager de sacrifier l’embryon humain au
profit d’intérêts commerciaux, mais aussi dogmatiques?!
* Députés cosignataires: Julien Aubert (Vaucluse),
Véronique Besse (Vendée), Xavier Breton (Ain), Dino Cinieri (Loire), Marie-Christine Dalloz (Jura), Jean-Pierre Decool (Nord), François de Mazières (Yvelines), Nicolas Dhuicq (Aube),
Jean-Christophe Fromantin (Hauts-de-Seine), Annie Genevard (Doubs), Claude Goasguen (Paris), Philippe Gosselin (Manche), Patrick Hetzel (Bas-Rhin), Marc Le Fur
(Côtes-d’Armor), Hervé Mariton (Drôme), Patrice Martin-Lalande (Loir-et-Cher), Alain Marty (Moselle), Philippe Meunier (Rhône), Yannick
Moreau (Vendée), Jean-Frédéric Poisson (Yvelines), Laure de la Raudiere et Dominique Tian (Bouches-du-Rhône).
Après avoir découvert la profondeur de vos convictions à l’occasion du débat, je suis heureux de vous retrouver de nouveau sur le devant de la scène avec une intelligence toujours aussi affûtée.